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Vivre à Bombay : tout un roman…

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Bombay Portraits 8

Il y a deux ans je me réinstallais en France. C’était un début et une fin, un commencement et une renaissance.

L’Inde n’est ni l’alpha, ni l’oméga (au grand dam des nationalistes de tout poil qui nous serinent le contraire, au grand dam aussi des indo-illuminés pour lesquels ce pays a « compris », ce pays est le sourire, ou ce pays « sait mieux » l’humain) mais un vortex dans lequel se mêlent présent et passé dans une folie léthargique ou une inertie trépidante. Je t’épargnerai le topos de l’Inde des contrastes, de l’Inde entre ceci et cela, même si l’Inde, c’est quand même un peu « entre bouses de vache et klaxons »…

Il est évident que Bombay et l’Inde toute entière sont une des expériences du lointain qui m’ont façonnée, que comme les autres expériences que j’ai eues, j’ai tâché de l’embrasser sans être fascinée, de m’y jeter à corps perdu tout me tenant à distance, de me laisser envahir sans m’aveugler, engloutir par le chaos et y participer tout en m’agrippant à ce qui me fait moi pour ne pas m’y perdre. Pour ne pas plonger dans le grand délire de l’Inde.

J’ai écrit beaucoup sur l’Inde dès que j’y ai mis les pieds en juillet 2008 pour voyager, puis en novembre de la même année quand je m’y suis installée. J’ai beaucoup lu, réfléchi, discuté, écrit là-bas, et tout autant depuis mon retour. Ce blog, un autre site pour l’accueil de ceux qui partent vivre en Inde (que j’ai suspendu pour l’instant), tout ce qui se situe dans « L’Inde selon Chouyo », que tu peux remonter jusqu’à l’origine, et toutes ces pages non encore publiées. Du sourire, de l’excitation, de la passion, de la lassitude, de l’aigreur, de la colère, tout ce que j’éprouve quand je suis dans ces ailleurs complexes, sales, riches et puants que je recherche pour les décortiquer, mieux les connaître et mieux me comprendre. Deux travaux d’envergure sont sur l’établi, qu’il me faut menuiser et polir encore et que j’espère enfin achever.

L’Inde a été et est très certainement mon miroir et mon repoussoir. Clairement, évidemment, intimement.

Et cela a commencé comme cela…

*****

Je me souviens très bien de mon premier réveil d’expat’ en Inde. Il y a trois ans jour pour jour.

L’hôtel de luxe « de transition », où nous sommes restés trois jours et non deux ou trois mois comme la plupart des expats. Une chambre cossue aux murs crème, bois sombre et décor sans âme vert malachite et turquoise. Les gens adorent. Lisse. Le ronronnement de la climatisation, les bruits de la rue qui me parviennent malgré l’étage élevé, les klaxons et les tambours d’une fête hindoue. Il est 5h du matin, et j’ai les yeux grands ouverts dans la pénombre.

Et je pense que je suis folle.

J’ai tout quitté, emploi, famille, amis, petite vie confortable et rodée dans la « plus belle ville du monde » (en tout cas ce que pensent beaucoup d’étrangers de Paris), pour aller loin de tout, loin de tous, dans un pays dont je ne maîtrise ni les langues, ni les codes, où la seule personne à laquelle je peux me raccrocher est Tac. J’ai pris le risque, j’ai sauté le pas. Je n’ai rien sur mon compte en banque, je n’ai pas de travail, pas d’amis, aucun contact, et je sais pour avoir vérifié les ersatz de supermarchés, les pseudo librairies et les prétendus cafés lors du voyage de reconnaissance que ce ne sera sûrement pas une petite vie confortable et rodée. Le container arrive dans quatre semaines, avec tous mes livres, tous mes vêtements, mes meubles, tout. Je n’ai plus rien en France, je n’ai plus d’appartement, je n’ai plus d’endroit où revenir. Déracinée.

Le sentiment tout à coup que je ne peux plus, du tout, absolument pas, revenir en arrière : c’est un saut dans le vide.

Je l’ai bien voulu, je l’ai bien cherché.

A partir de cette minute je sais que je vais vivre au moins les trois prochaines années à Bombay. En Inde. L’immensité du pays, de la population, de la tâche à accomplir sans même savoir quelle est cette tâche. La méfiance instinctive, et qui ne fera que s’accroître, à l’égard de la communauté expat’, du fais-donc-un-enfant-ça-passera-le-temps, des sourires mondains et des sourires aux dents longues qui se croisent en un ballet affligeant. Ce matin-là, je sais déjà qu’il y aura des choses que je ne parviendrai pas à exprimer, à faire comprendre à mon entourage, à ceux que j’aime. Que je serai frustrée de ne pouvoir partager et que l’isolement de celle qui n’a ni travail ni enfant pour remplir sa vie me dévastera.

Cet hôtel de luxe qui prend pied sur les bidonvilles de pêcheurs de Colaba, l’accent incompréhensible du personnel, l’appartement à meubler et à faire fonctionner sans même avoir une seule idée d’où acheter un four ? d’où acheter de la viande ? ou même… trouver de l’eau potable ??? Des activités à trouver, un défi professionnel à relever, un pays à visiter et bricoler pour tenter de donner un sens à ma vie ici. Un autre pays à laisser momentanément derrière moi, le plus loin, le plus longtemps possible. Désormais c’est ici chez moi : ce ne sera pas « revenir » ou « retourner » en France, mais y « aller ». Nuance importante dans mon esprit, Bombay est chez moi, je l’ai décidé ce matin-là.

Et dans la confusion du demi-sommeil, de l’excitation mêlée d’inquiétude, j’ai aussi senti autre chose, diffus et évident, exaltant et angoissant.

L’Inde, c’est pour le meilleur et pour le pire.

*****

… et s’est clos temporairement là…

*****

شکريہ मेड़ Bombay… Shukriya mera Bombay

Depuis quelques semaines mon appartement résonne.

Il est vide. De mes livres, de mes vêtements, des cadres, objets, tissus, meubles ramenés d’un peu partout. Mais il est plein de l’histoire avec cette ville que j’ai intensément aimée, de ses ruelles à ses bars branchés, en Crocs et talons hauts. J’ai donné, pris, tout ce que je pouvais et voulais, de la première seconde moite dans ce taxi brinquebalant la nuit du 13 juillet 2008 à cette voiture climatisée qui monte à l’assaut du Sea Link le 25 mars 2012.

Les derniers souvenirs sont achetés, empaquetés, les portes et les placards refermés.

J’ai salué ceux qui m’ont accueillie et accompagnée, les artisans que j’ai surchargés de travail, les lieux que j’ai découverts, ceux où je me suis réfugiée. Tous étonnés que celle qui faisait partie du paysage, dodelinait et arrondissait les voyelles comme eux, puisse elle aussi un jour s’en aller. Comme les autres. L’expatriation est l’apprentissage du départ, l’apprivoisement de la séparation, l’éducation au déchirement. Et déjà trop sont partis, trop m’ont manqué, eux me manqueront. Et c’est moi qui pars cette fois.

Les cartons sont depuis longtemps sur les flots, les dernières valises chargées dans la voiture. Je prends le dernier sac.

Il n’y a pas de fin mot de l’Inde. Pays exubérant, exténuant, exigeant en tous points. J’écrirai encore des milliers de lignes sur elle car on n’en sort pas indemne. Moi je ne l’ai pas voulu en tout cas, refusant jusqu’au dernier jour l’aide domestique ou le condo-super-luxe, sans club soexpat pendant longtemps. Avec les difficultés réelles inhérentes à l’Inde, je l’ai payé au prix fort. Mais j’aurais vécu l’Inde comme je le souhaitais. Ma Route des Indes, ma découverte de l’intime et de soi, du rejet et de la solitude, de ceux qui aident et de ceux qui profitent. De ceux qui écrasent, de ceux qui tournent le dos et de ceux qui essaient malgré tout. Un ricanement pour les Indo-illuminés, une admiration réelle pour ceux qui l’endurent chaque jour, Indiens comme expatriés.

Un dernier coup d’oeil, les plantes qui fanent déjà dans la chaleur estivale, le calme tout relatif de la nuit moite. Je tourne la clef dans la serrure.

Bombay, j’y ai vécu et j’y suis morte. Je la quitte sans remords et sans adieux. J’ai aimé Bombay plus que je n’ai détesté l’Inde, j’ai adoré l’Inde plus que je n’ai haïe Bombay. Et j’y suis née à nouveau car, me souvenant de Musset, « vous aurez vécu si vous avez aimé ». Beaucoup croient que viendra le temps du blues, de la nostalgie. Quoi ? L’étonnement culturel et la vadrouille oui, mais je les porte en moi, partout. La chaleur, le soleil, le « confort » ? La belle vie n’existe pas en Inde, pas dans celle où j’ai vécu. La claustration de fait, l’état désastreux et sans espoir d’un pays que ses élites jouissent de laisser gangréner, l’isolement de l’expatriée qui n’a ni travail ni enfant. Certains sont venus briser cette solitude, et je ne les en ai aimés que plus pour ça. Ceux qui m’ont dit ne pas vouloir ou pouvoir venir je les comprends. Celui qui avait promis mais n’a rien osé, je ne lui pardonnerai jamais.

La grille se referme en grinçant dans la nuit, toujours pas huilée depuis le temps. La voiture zigzague entre les taxis de cette Ville-Lumière monstrueuse. C’est à Haji Ali, ma bienaimée mosquée des flots, que les larmes ont commencé de couler.

La Bombaywalli s’en va. Elle regarde les visages émaciés le long des routes qui conduisent à l’aéroport, frémit d’une dernière colère aux voix glapissant dans les Blackberry. Je regretterai bien plus les hommes doux des ruelles puantes de Bombay que son élite puante aux ongles manucurés.

J’ai aimé Bombay jusqu’à sa crasse et sa puanteur, j’ai haï son mépris et son indifférence. Parce que comme elle je suis faite de chair et de sang, d’adrénaline et de sentiments. L’indifférence m’est impossible. Quant à Chouyo, elle n’a jamais été consubstantielle de Bombay. Elle est née ailleurs, a vécu ailleurs, se nourrit de là où elle passe et vit, porte déjà de nombreuses villes en son coeur, sous sa peau, dans ses yeux. Sur ses lèvres.

Alors une nouvelle aventure commence…

Chalo.

شکريہ मेड़ Bombay.

Shukrya mera Bombay, shukrya Bombay meri jaan…

Calcutta Echoppe


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